La mort est dans la vie

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Doit-on parler de la mort avec ses proches et comment ? Y a-t-il un bon moment pour le faire ? 
Alors que les débats sur la fin de vie et le droit de mourir dans la dignité se poursuivent, Anne Géron, gérontologue et consultante en bien vieillir, nous éclaire sur ce qui peut nous aider à aborder le sujet de la mort, la nôtre et celle de nos proches. Ce qu’elle nous enseigne ? Évoquer la fin de vie peut aider à s’y préparer et à accompagner celles et ceux qui s’apprêtent à partir. 

Harmonie Mutuelle : Doit-on parler de la mort avec ses proches ?

  • Anne Géron : 

    Parler de la mort, c’est parler du lien qui nous unit « à la vie à la mort ». Oui, il est préférable de parler de sa mort avec ses proches et de parler du sens de la mort en général. Bien que les sciences aient eu l’ambition de repousser les limites de la mort biologique, la mort est une réalité pour toutes les familles et la nier n’évitera ni le chagrin ni la tristesse.


    Parler de la mort, c’est parler de ses angoisses, de notre capacité à accepter la perte, la solitude, la gestion de l’absence et souvent l’obligation de repenser sa vie. De nombreuses personnes malades ou âgées attendent des jours et parfois des semaines un dernier visiteur pour dire, écouter et se toucher une dernière fois dans ce monde des vivants. Nous mesurons ainsi à quel point il est nécessaire et important pour les mourants comme pour les vivants de parler, de se dire des mots d’amour, des mots d’adieu. L’Homme est un être qui se construit et s’épanouit dans les relations, alors nécessairement il se meurt dans les relations et les liens qui nous relient tout au long de nos existences. 


    Parler de sa mort, dans nos imaginaires, c’est faire connaître nos dernières volontés pour une ritualisation des funérailles réussie et à l’image du défunt. Mais c’est aussi parler de la vie qui nous a unie, parler de nos perceptions, de nos ressentis, de la manière dont on se sent capable de vivre sans l’autre, de se réorganiser et de faire des choix seuls ou avec d’autres. Parler de sa mort c’est aller chercher une autorisation de pouvoir mourir en sachant que nos endeuillés sauront surmonter leur deuil. Parler à celui qui nous quitte sous peu de sa mort, c’est lui donner l’autorisation de mourir et de le rassurer sur la continuité d’une forme de communication ou de continuité des souvenirs des moments partagés. 
     

Harmonie Mutuelle : Et avec les enfants ?

  • Anne Géron : 

    Les enfants sont naturellement très à l’aise avec la mort avant leurs 7 ans. La mort et l’absence sont comprises ensuite comme permanente. Quand un enfant perd un doudou, de nombreux parents rachètent le même. Or, ce n’est pas le même ! Préparer l’enfant à accueillir un autre doudou lui permet de se familiariser avec la notion de perte. Pour être intégrée, la perte doit être vue, parlée, pleurée, partagée et entendue. Le chemin du deuil est plus aisé lorsqu’il a été ritualisé par le groupe social aimant et éduquant. Éduquer nos enfants à la vieillesse et à la mort, c’est leur apprendre à mieux vivre les aléas qui feront leurs vies. Ils auront ainsi acquis des repères. Les funérailles sont un temps de ritualisation nécessaire pour toute la communauté et à ce titre tous les enfants y ont leur place légitime.


Harmonie Mutuelle : Quand et comment parler de la fin de vie ?

  • Anne Géron : 

    Il n’y a pas d’âge pour mourir. Nous commençons à envisager la mort quand la réalité devient actuelle et c’est lié au contexte de la mort pour les patients malades jeunes, pour les personnes très âgées, pour les personnes en coma…


    Quand nous avons 25 ans, nous sommes de jeunes actifs en pleine santé et remplis de rêves et de projets. Parler de sa propre mort est un non-sens. Ce n’est pas pensable, car trop loin du « sens de la vie ». À 25 ans, un jeune adulte peut accueillir la parole d’un mourant de tout âge. Le sujet n’est pas de savoir ni d’apporter des réponses à d’hypothétiques questions, mais d’être présent, dans l’écoute et dans le toucher. Comment en parler ? Avec nos bouches, avec nos corps, avec nos gestes. Le toucher nous permet de nous sentir en lien. Je parle de sensations physiques qui relient le mourant à la vie et au sens de sa vie jusqu’à son dernier souffle. Avec les personnes âgées, c’est aussi parler de transmission de mémoire et de missions transverses intergénérationnelles. 


    Pour en parler, il faut en être capable. Il y a peu ou pas d’endroit dans nos itinéraires de vie pour parler et comprendre les sujets de la mort et du deuil, d’où peu de personnes capables d’écouter et d’entendre. Pour oser parler sereinement de la mort avec une personne mourante, il est nécessaire qu’elle vous invite à cette conversation


Harmonie Mutuelle : L’actualité est-elle un bon prétexte pour aborder le sujet ?

  • Anne Géron : 

    Oui c’est une opportunité. Elle est clivante, car peu de personnes connaissent les règlementations existantes sur les droits des personnes malades et en fin de vie. (Loi Leonetti de 2005 & 2016)
    La consultation citoyenne ou l’actualité sur la fin de vie sont de bons prétextes pour en parler et en débattre en famille sans pathos ni mise en exergue de situations de fin de vie particulières. 


Harmonie Mutuelle : Qui peut nous aider à anticiper nos dernières volontés et à en parler à notre entourage ?

  • Anne Géron : 

    Au-delà des directives anticipées qui sont un guide pour notre « bien mourir » et que l’on peut rédiger avec son médecin traitant avec un consentement libre et éclairé, nous pouvons tous écrire un testament holographique (à la main) pour consigner nos objets de valeur et leur offrir une continuité en les léguant aux personnes que nous aimons. Également rédiger des récits qui seront des traces de mémoires de la vie vécue. Le notaire peut être consulté et dans tous les cas, il aura la charge de la succession patrimoniale.

    Ces actes et démarches peuvent éviter des incompréhensions, voire des conflits et rétablir des loyautés familiales. Parler de sa mort ne fait pas mourir et surtout libère la parole et le toucher.


Quelques chiffres clés

  • 42 %

    42% des Français pensent souvent à la mort (source : Ifop, 2018)

  • 67 %

    67% des Français ont déjà réfléchi au souhait d’être enterré ou crématisé (source : Ifop, 2018)

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